L'atmosphère était sèche mais le vent froid du Nord me glaçait chacune de mes extrémités. J'arrivais finalement au niveau de la ruelle étroite, trop légèrement éclairée pour en lire le nom, au bout de laquelle ma petite taverne préférée m'attendai comme chaque soirs depuis un an. J'aimais m'arrêter quelques minutes sur un des bancs qui longeaient ce qui était la terrasse en été; je m'amusais à imaginer des conversations ridicules entre les clients qui semblaient muets à travers le double vitrage teinté de l'immense fenêtre qui donnait sur les pavés froids de la rue.
Ce jour là, la température me contraignit à rentrer sans attendre afin de me coller au radiateur et de commander un thé très chaud. Une fois installé et suffisamment réchauffé, mes doigts retrouvant peu à peu leur mobilité, je sortis un vieux bloc-notes de la poche de mon sac et retirai le stylo que j'avais coincé derrière mon oreille - une fâcheuse habitude que j'avais commencé à prendre depuis mon entrée aux Arts Déco'. J'entamai un petit croquis de la salle et du monde qui m'entourait. Mon regard se posa inconsciemment sur des mains fines tenant un livre épais à quelques mètres de ma table. La serveuse m'apporta mon thé noir avec son sourire habituel.
J'avais appris l'après-midi même, durant le cours d'observation du Pr D., la complexité de l’ossature humaine, en particulier les mains, pouvant être le reflet de l'émotion ou du caractère d'un individu, il me semblait important alors de m'y intéresser. Je fus ravi de constater que l'ongle du pouce droit était gardé long, un bel indice, elle devait jouer de la guitare,"une musicenne!", me suis-je dit.
Le barman retira le disque de jazz qui tournait depuis longtemps et le remplaça par un autre. Un morceau de bossa nova commença, Stan Getz, mon préféré. Je pris le temps d'apprécier les sonorités et le rythme réconfortant qui me chauffait presque de l’intérieur. Je tentai de me souvenir de son titre, en vain. Frustré, je reposai mon stylo sur la table de bois, m'interrogeant, me creusant la mémoire, fouillant de fond en comble dans mes souvenirs, impossible de m'en rappeler.
Quelqu'un déposa furtivement devant moi, sur mon carnet, recouvrant mon esquisse, un morceau déchiré de serviette en papier vert sur lequel était inscrit d'une écriture maladroite "The girl from Ipanema".
- C'est le titre de cette chanson...
Je levai les yeux lentement vers cette voix: reconnaissant d'abord les mains fines aux ongles rongés, sauf le pouce droit, puis découvrant un visage étonnamment lisse et clair couvé par un nuage massif de cheveux très foncés, presque noirs.
- ... tu n'es pas le seul à observer.
Elle avait tiré une chaise et s'assit en face de moi, déposant son gros ouvrage sur ses genoux. Elle semblait ne rien vouloir ajouter. Afin de dissiper mon malaise et mon étonnement -il n'était pas fréquent que l'on m'aborde de cette manière- je commençai à lui parler des notions évoquées en cours quelques heures auparavent. Elle poursuivit mon idée en abordant la perception. Ce qu'elle mentionnait paraissait incroyablement simple, magnifiquement simple et terriblement complexe à la fois. J'étais impressionné, elle était capable d’amener un sens précis sur tout ce qu'elle pouvait ressentir, éprouver, percevoir. Il était agréable de l'écouter. Elle parsemait ses réflexions de petites anecdotes là où elle le pouvait, donnant vie à ces mots grâce à de petits gestes et de drôles grimaces. J'essayais de commenter ses paroles parfois, pour appuyer mon sincère intérêt:
- Peut-on dire que le chagrin est une forme d'insomnie des sens?
-Je ne sais pas. Mon père me disait que "le bonheur n'est pas grand chose, c'est le chagrin qui se repose". C'était pourtant quelqu'un d'amoureux du bonheur, qui saisissait chaque instant.
-Et qu'est-ce que tu fais lorsque tu as du chagrin?
-Quand je suis triste, j'imagine un T-rex essayant de mettre un chapeau, dit-elle en souriant.
Il commençait à neiger. Elle agrippa son bouquin après avoir consulté sa montre, et m'annonça qu'elle devait s'en aller. Elle se leva, me salua d'un rapide signe de la main, comme soudainement gênée, et me lança un bref regard avant de tourner les talons. Je fixai son dos jusqu’à ce qu'elle eut enfilé son manteau et franchit la porte. Lorsqu'elle disparut, j'eus l'impression que le monde recommença de tourner. J'ignorais lorsqu'il s'était arrêté. Mes yeux se posèrent sur le bout de serviette déchiré, je le saisi afin de le glisser entre les pages de mon calepin lorsque j’aperçus quelques mots griffonnés à l'arrière: "Je suis Gaïa, à demain!".
Je ne parvenais pas à savoir s’il y avait un réel sens ou une certaine logique dans l'heure qui venait de s'écouler en deux minutes. Je n'avais pas l'habitude de quitter la taverne de si bonne heure mais je me sentais comme fatigué, las. Le brouhaha du bar devenait presque insupportable et je ne me sentais plus à ma place au milieu de ces jeunes gens dont les trois quarts étaient déjà à moitié ivres. Une fois l'addition réglée, mon manteau boutonné et mon écharpe serrée, je franchis la porte à mon tour, passant de la cacophonie chaude aux milles couleurs, à la nuit silencieuse et glacée. En me dirigeant vers le centre de la ville, contre le vent et la neige qui me paralysait le visage, le sentiment bête d'ignorance que j'avais ressenti en sa présence m'envahit à nouveau. Il prit soudain une nouvelle forme, me réchauffant étonnamment les entrailles, me rendant ivre d'inconscience.
Le lendemain était le mercredi 12 janvier 1991. Le temps s'était éclairci comparé à la veille et le soleil avait remplacé les nuages. Le ciel, lui, demeurait très clair, presque blanc, vide et triste. Il me rappela le teint pâle de Gaïa. Je m'étais endormi très tôt dans la matinée: Etta, ma grande sœur, était passée à l'improviste lorsque je m’apprêtais à m'allonger. Etta étudiait les lettres et la pensée contemporaine à l'université Diderot de Paris -située à seulement quinze de minutes de mon studio- et les examens du premier trimestre avaient apparemment été très rudes. Elle était la personne qui me connaissait le mieux sur cette terre et ne tarda pas à me demander ce qu'il y avait dans ma tête de plus intéressant que de l'écouter se plaindre.
- Mais qu'est-ce que tu attends gros bêta! Bien sur que tu y vas, et sans plus tarder! s'exclama-t-elle suite à mon récit détaillé du déroulement de ma soirée.
- Etta, il est deux heures du matin..
Ma sœur était souvent autant déroutée que déroutante. Ses yeux malicieux, derrière les verres de ses lunettes rondes à monture épaisse, brillaient en permanence. Elle avait toujours de bonnes idées, de bonnes solutions mais elle avait une terrible tendance à s'emballer, et dans ces moments là, sa logique et sa jugeote s'égaraient pour faire place à son euphorie enfantine. Je compris par son enthousiasme et son énergie soudaine, qu'elle était ravie que je m’intéresse enfin à autre chose qu'à mes photos et aux oiseaux dans les arbres. Le mercredi, la taverne organisait une soirée musicale où quelques petits groupes très variés présentaient leurs morceaux et faisaient danser la clientèle. Je lui promis alors de m'y rendre légèrement en avance pour choisir une table idéale. Lorsqu'elle s'en alla enfin, je m’effondrai sur mon matelas et m'assoupis, m'enfonçant dans un sommeil sans rêve.
Il était vingt et une heure moins le quart quand la serveuse m'apporta un café. Quelques musiciens commençaient tranquillement à s'échauffer. De nombreux nouveaux arrivants s'installaient autour de moi en discutant. J’entendais parler du programme de la soirée : à vingt et une heure pile, les "Cheerful Fishes" ouvraient le bal pour un début tout en douceur; ensuite venaient "The heart is a metronome" -c'était la première fois que j'en entendais parler-, une métaphore subtile qui me plaisait bien; pour finir "Une tribu nommée Steeve" allait nous faire danser comme jamais. Le bar et la salle se remplissaient et je sentais la pression des musiciens augmenter. J'attendais toujours Gaïa, depuis maintenant une heure, je l'attendais. Je ne savais pas si j'avais affreusement envie de la voir ou si au contraire, il valait mieux que je sorte tout de suite d'ici. Je sentais comme un oeuf de coton qui était entrain d'éclore à l’intérieur de mon ventre, une sensation excitante et terrifiante.
Le premier concert s'acheva, et Gaïa n'était toujours pas arrivée. Elle avait sûrement un imprévu et viendrait un peu plus tard dans la soirée. Je n'avais étrangement pas pu écouter le moindre morceau qu'avait joué le vieux groupe de blues; mes pensée résonnaient bien plus fort que leurs amplis. Elle était vraiment étonnante. Plus j'y réfléchissais, plus il me paraissait évident qu'elle était doté d'une intelligence incroyable, d'une approche de la vie décalée et d'un charme aussi discret que ravageur. Le peu que je connaissais d'elle s'approchait de ma vision de la perfection. Qu'allais-je bien pouvoir lui dire de passionnant?
J'étais né en Angleterre près de Liverpool. Mon père travaillait dans la petite librairie du village et donnait des cours de piano le mercredi soir, ma mère était une scénographe talentueuse mais effacée, passionnée d'art et d'histoire. Quant à ma grande sœur, énergique et déterminée depuis sa plus tendre enfance, elle rayonnait dans les études comme dans la vie. Il n'y avait rien de palpitant lorsqu'on abordait mon sujet. Entre mes photos, ma musique et les oiseaux, je ne prenais aucun risque. Elle, avait vécu, subi, enduré et appris. Chaque mot qu'elle employait démontrait l'expérience et la sincérité de ses propos. Toutes ses questions étaient perspicaces et ses réponses logiques. Ses différents avis et idées étaient tirés d'un événement ou d'un obstacle qu'elle avait du traverser. J'éprouvais un immense respect pour cette fille, mais ce qui m'attirait justement chez elle, était l'intense contraste entre son apparence naïve et fragile, et sa force de réflexion, sa maturité. Une intelligence que je jugeais rare qui la rendait Femme.
Le second groupe commençait à s'installer. Dix heures et demie, elle ne viendrait sûrement plus. Cette pensée brûla un coin de mon cœur. Les musiciens entamèrent une introduction; une superbe instrumentale de soul dont la batterie faisait battre mon cœur. Malgré l'excellente musique, j'avais décidé de partir. A la fin du morceau, je me levais pour sortir lorsqu'une voix sombre, grave; une voix soul résonna dans le microphone. Mon sang bouillit dans mon cerveau. Gaïa était sur scène, sous les projecteurs. Elle était belle et tout ce qui l'entourait reflétait soudainement sa beauté. Sa voix venait de l'obscurité, des ténèbres, elle pénétrait en vous en un souffle et vous secouait jusqu'à briser vos côtes. Cette fois ci, je sentis le temps ralentir puis s'arrêter. Tout n'était qu'ombre et lenteur comme dans un rêve. Je restais debout, frissonnant jusqu'à la fin de la chanson. Lorsque je sentis mes muscles se détendre à nouveau et mon souffle reprendre, tout comme la vie autour de moi, je m'assis afin d'éviter de m'écrouler.
A la fin de leur incroyable prestation, je me mis en évidence, à la table juste au pied de la scène de sorte à ce qu'elle ne puisse pas me manquer. Je lui souriais -du moins j'essayais- lorsque nos regards se croisèrent. Elle répondit à mon sourire, sauta de la scène et passa très vite à côté de moi. Elle ne m'avait pas vu. Je me sentais ridicule, honteux. Jusqu’à ce que derrière moi, une voix qui m'était familière à présent déclara "On y va?". Gaïa ne m'avait pas oublié. Elle s'était dépêchée d'enfiler son gros manteau et m'attendait près de la porte, "Viens, avant que l'autre groupe ne commence".
Je la suivais dans les rues sinueuses du vieux Paris en la félicitant puis, je lui demandai pourquoi elle ne m’avait pas parlé de sa musique la veille; elle me répondit simplement que je ne lui avais pas posé la question. Arrivés au niveau d'une ruelle semblable à celle de la petite taverne, elle me fit entrer dans un pub pas plus grand que mon appartement, appelé "La Mandragore" où le bar prenait le tiers de la place. Nous étions assis tous les deux sur de hauts tabourets faits de vieux bois foncé, les murs étaient recouverts de trophées de chasse, de tableaux et des centaines de bouts de papiers remplissaient les vides, on pouvait y lire des espèces de dictons tels que :"Je suis les autres et dans la solitude je me vautre" ou "Prendre du recul c'est prendre de l'élan" ou encore "Face de Pokémon". Une musique d'ambiance jazzy rendait le tout étrangement accueillant presque chaleureux. Elle me raconta qu'elle avait grandi en province près de la frontière allemande à côté de Strasbourg. Sa mère était professeur d'histoire à l'université et se produisait dans un cabaret en fin de semaine, elle lui avait appris l'art de chanter l'horizon. Son père était écrivain et lui avait enseigné la vie. Mon malaise avait totalement disparu. Il était simple de discuter avec elle. Nous échangions nos passés avec facilité. Elle m'interrogeait souvent et je compris que ma vie n'était peut-être pas si ennuyeuse que je l'avais pensé. Le barman avait posé deux bières devant nous; elles se vidaient si lentement que le patron nous annonça qu'il fermait et nous demanda de sortir avant qu'aucun de nous n'ait eu le temps d'en vider une complètement . Une fois dehors Gaïa se tourna vers moi :
- J’entame une tournée avec mes amis musiciens dans toute la France, et ma première destination est Strasbourg. Le départ est après-demain.
- C'est une excellente nouvelle! Le voyage est le meilleur moyen de découvrir, de comprendre. Je suis absolument ravi pour vous.
-Comment tu t'appelles?
-Max..., ai-je bredouillé, extrêmement gêné de ne même pas m'être présenté avant.
-Rejoins nous demain à la taverne, c'est une bonne occasion pour faire un peu la fête.
Elle me tendit un album de son groupe "The Heart is a Metronome" décoré d'un autographe, je la remerciai trois fois et le glissai dans la poche de mon manteau. Elle reproduit alors avec sa main le geste rapide du jour d'avant et tourna les talons. Je la regardais encore une fois s'en aller. Cette nuit-là était pleine de rêves. Dans mon sommeil, j'avais imaginé des mains fines aux ongles rongés, sauf le pouce, tournoyer, danser et même chanter dans un monde qui devait être le mien.
A mon réveil, je ne pensais qu'a la soirée d'hier. Le seul souvenir de la façon dont elle était apparue comme un ange, illuminant le regard de chacun, me faisait frissonner. Je me sentais encore légèrement troublé par sa voix perçant le silence, si reposante et pétrifiante. J'avais d'abord était flatté que ce soit moi qu'elle avait emmené boire un verre, puis j'avais appris au cours de notre conversation qu'elle débarquait à Paris, elle ne connaissait donc que ses amis musiciens et moi. Le choix du pub dans lequel elle m'avait amené ne m'avait pas étonné. Ce lieu lui ressemblait ou plutôt, lui était assorti par son ambiance chaleureuse malgré son apparence, à première vue, presque sordide et froide.
La journée fut lente et éprouvante. A l'école, j'avais peint tout la journée pour ensuite renverser accidentellement tout le contenu d'un pot de peinture bleue nuit sur mon travail enfin achevé. Je m'étais rendu directement à la taverne pour méditer et me détendre. Il était seulement dix-huit heures lorsque je commandai mon thé noir à la serveuse au large sourire. J'extirpai non sans peine un gros livre de mon sac à dos: la biographie de Koltès, mort deux ans auparavent. La lecture était à mes yeux un excellent moyen pour faire passer le temps plus vite. Aux environs de vingt heures, j’aperçus un homme brun aux épaules développées se tenant au bar. Je reconnus sans difficulté le batteur de "Heart is a Metronome", je m'empressai alors de le saluer et de lui avouer la chamade que mon cœur avait dansé la veille grâce à ses rythmes effrénés. Il semblait sympathique et me remercia d'une grosse tape dans les dos. Une fois la douleur de mon omoplate disparue, je lui annonçai que Gaïa m'avait proposé de les rejoindre à leur "pot de départ". Il me répondit que si c'était elle qui m'avait choisi, il m'accueillait avec le plus grand plaisir.
A la fin de la soirée, je commençais à sentir la chaleur d'une bière ou deux en trop dans mon ventre et les joues de Gaïa avaient pris une teinte rosée inhabituelle. Ses amis musiciens étaient charmants, j'avais sympathisé rapidement avec le bassiste partageant la même passion que moi pour les guitares basses et le pianiste avait un humour très fin qui m'amusait beaucoup. La taverne était quasiment vide lorsque le guitariste, le dernier à nous tenir compagnie, déclara qu'il était exténué, il nous souhaita une bonne soirée puis partit. Nous avons alors décidé d'en faire autant. Gaïa finit sa bière avant d'attraper son écharpe et de s'envelopper dans son gros manteau. Arrivé dans la neige et le froid de la rue, elle leva légèrement le coude pour faire son petit signe de la main mais son expression changea, et elle stoppa son mouvement. Elle ne semblait plus gênée et affichait plutôt un air grave. Elle s'approcha de moi et se hissa doucement sur la pointe des pieds afin de déposer un baiser sur mes lèvres. Elle s'écarta et tourna les talons, s'éloignant dans le brouillard et les flocons. Je me laissai choir par terre dans la neige sans bouger et j'éclatai de rire.
Le vendredi était mon jour de repos. J'en profitais habituellement pour faire la grâce matinée. Mais ce vendredi n'était pas comme les autres, je pensais que c'était le premier d'un homme nouveau, changé, un homme génial. J'évitais de me rappeler cet instant magique, de peur que ma mémoire ne l'embrouille, retirant justement toute sa magie. Elle était partie en voiture tôt ce matin, et devait arriver dans quelques heures à Strasbourg. Elle reviendrait dans deux petites semaines. Deux longues semaines... Aux environs de seize heures, je pris le risque d'aller à la taverne en vélo. Malgré la neige, j'aimais pédaler à toute allure entre les passants, sentir froid réveiller tous les pores de ma peau, et le soleil discret chauffer mes épaules et mon dos. "The girl from Ipanema" de Stan Getz résonnait dans ma tête lorsque j'arrivai devant l'immense fenêtre de mon bar favoris. Je pris le temps de bien cadenasser ma bicyclette. Deux hommes discutaient devant l'entrée, fumant une cigarette:
- Tu as entendu ce qui est arrivé dans la matinée?
-Absolument pas, je t'écoute.
- Oh mon ami, une tragédie... un accident sur l'autoroute, sur quatre personne une seule est en vie.
-Qui sont ces quatre personnes? Joseph, sois plus clair, tu m’effraies.
-Le meilleur groupe de mercredi soir à mon goût, "Au coeur du métronome" ou quelque chose comme ça.
Mon souffle se coupa, j'avais envie de vomir. Tout se mit à tourner.
-Et tu sais qui à survécu?
-Le batteur uniquement. Quelle tragédie!
Sans que mon esprit le réalise vraiment, je commençai à courir, courir après le temps et les souvenirs, courir contre le vent et les malheurs, j'aurais voulu courir jusqu'à ce que j'en meure. Mes jambes m'avaient inconsciemment mené devant la porte de mon studio, une fois franchis, je m'écroulai en pleurs, perdant mon souffle à nouveau, suffoquant, étouffant presque. Je mis trois heures à me calmer. Lorsque mes larmes furent sèches et que le calme anormal dans ma tête fit taire la douleur de mon cœur; j’éprouvai un désir irrésistible de voir la pâleur de son visage, le clair de ses yeux gris, et le noir de ses cheveux. Dans la poche de mon manteau était resté l'album dédicacé. Je retirai du boitier le petit livret où se promenaient les paroles de leurs fabuleuses chansons et quelques clichés des artistes. Tournant les pages doucement, je caressais parfois l'image de son visage du bout de mon doigt sans un mot, sans une pensée. Je remarquai alors, coincé entre deux pages, un petit morceau de serviette en papier vert sur lequel était inscrit, de son écriture maladroite "Le bonheur n'est pas grand chose, c'est le chagrin qui se repose.".