Lettre de Philippe Gillot
"Elle est triste ma France.
Moi simplet, j'ai cru dans les années 80 qu'elle était unie, qu'elle était réunie, que son projet s'appelait "Europe" et que se dressait devant moi une vie d'homme libre parmi les hommes libres, parmi les femmes libres.
Moi simplet allait à la messe de minuit, avec mes parents pour leur faire plaisir et puis ça sentait le décorum, les prémices du repas et des cadeaux le lendamain matin.
Moi simplet j'apprenais à l'école un roman national sans même le savoir, ni même le deviner. Je jouais au cow-boy avec mes camarades et j'aimais bien les indiens.
Moi simplet, j'écoutais les mots de mon père qui s'émerveillait aux nom des moudjahidin, combattants farouches de la liberté contre les méchants.
Le monde était simple, simpliste, exotique. Les gentils étaient aux Amériques et les méchants à l'est, communistes diaboliques. Nous nous félicitions de voir aux infos que les afghans ne se laissaient pas faire par les soviétiques... bref, ma France était une injustice silencieuse, qu'un tonton paternaliste dirigeait du haut de son intelligence incontestée.
Sos racisme battait son plein, touche pas mon pote aussi. A la fête de l'huma on y allait pour boire gratis et manger des sandwichs tout en écoutant la musique, qu'un Jack Lang avait institué en référence culturelle. Bref, elle n'était pas si belle que ça ma France, mais elle tentait des convergences, et dans ces tentatives, tout l'espoir d'un peuple en action, en réaction...
Mais aujourd'hui, de quelques endroits où j'observe, ma France est moche. Les communautés se développent à grands pas, toujours plus fermées, plus opaques, plus obtus. Ces communautés ne sont pas seulement ethniques, culturelle ou religieuses, elles sont corporatistes, filières, financières, professionnelles, sociales, géographiques, économiques, politiques. Nous assistons à la balkanisation de notre pays sans même réagir.
Parfois j'ai l'impression que collectivement nous mettons tout en place pour qu'un gouvernement fasciste arrive aux manettes, question qu'il se charge de nettoyer la merde laissée par cette "pensée unique", ce pragmatisme débile, ce néo capitalisme qui est le fruit d'une barbarie sans nom, d'une tyrannie sans fondement autre que celui du pouvoir de l'argent. Pouvoir inutile si l'on souhaite pour le coup être pragmatique. Ce pouvoir énorme ne produit pas les fruits des attentes des peuples. Aucun peuple ne s'y retrouve.
Mais cela dans ma France qui s'enlaidit, personne ne veut s'en emparer. Au final, nous savons tous comment cela va finir. Et nous laissons libre cours aux évènements, qui ne peuvent aujourd'hui que nous amener là où l'on sent qu'ils nous amènent. La haine, les règlements de compte, les massacres, les injustices, les camps, la chasse aux immigrés, aux communistes, aux homosexuels, aux artistes qui transgressent l'ordre, aux intellectuels contestataires, aux syndiqués, ..., nous y sommes presque à bien des égards...
Le pen sera élue, et si ce n'est la prochaine présidentielle, ce sera à la suivante. Les politiques de nos gouvernants marchent contre nous. Nous le voyons tous les jours, nous le savons... Nous ne voulons tout simplement pas y croire. Et nous avons raison. Comment croire que l'on pourrait recommencer les grandes œuvres des années 30-40 ? Après tout ce qu'on nous a raconté là dessus, comment le croire ? Et pourtant, il y a plein d'indicateurs étrangement semblables à ceux d'après 1929 ; indicateurs de causes, mais aussi indicateurs d'effets. La montée des nationalisme, l'incapacité des politiques à répondre aux problèmes contemporains, leur manque de volonté face à un obscurantisme galopant. Musulmans radicalisés, juifs extrémistes, catho intégristes, politiques inconséquents et corrompus et patrons irresponsables, face à des citoyens dans l'incompréhension la plus totale et des médias usant de la propagande la plus mensongère qu'il soit. Certains sciemment, d'autres par effet de niche. Il n'existe pas à ma connaissance un média neutre, descriptif et explicatif sans être peu ou proue influencé par des intérêts particuliers ; intérêts privés, mais aussi intérêts politiques. Aucun média n'y échappe? Une information, juste, vraie, dénuée d'intentions... cela n'existe pas. Alors pauvre citoyen que nous sommes, sommes livrés pieds et mains liés à des décisions qui nous surpassent et qui se passent de nous.
Le 93 n'y échappe pas, il est le laboratoire du communautarisme et d'une probable démocratie des pauvres dans certains cas. L'Etat n'intervient pas, ou du moins le fait il dans les conditions édictées dans le traité de Lisbonne. Il n'y exerce que ces principales fonctions régaliennes réduite à leur plus simple expression. Je rappelle, et les citoyens ont le droit de revenir dessus, en tant que citoyens, que nous n'avons pas voter ce traité. Seuls notre "représentation" nationale s'est engagée. Mais pas le peuple.
Moi simplet, j'ai cru en l'Europe dessinée pour les enfants, ce grand projet de réconciliation, d'espace de liberté, de phare humaniste, culturel, intellectuel. Aujourd'hui je ne la vois plus cette Europe. Et celle que je vois me dégoûte. Elle est laide et elle rend tout laid. Peut-être est ce pour cela que la France est laide".